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Les sanctions de l’UE contre les Gardiens de la révolution, un geste “pour l’opinion publique”

Plusieurs experts interrogés doutent de l’efficacité des sanctions de l’UE sur les Gardiens de la révolution iraniens, dont les capitaux échappent aux radars européens. Celles-ci les rapprocheraient d’autres États sanctionnés, au rang desquels figure la Russie. Certains prônent la création d’une “task force” à l’image de celle qui traque les oligarques russes proches de Vladimir Poutine.

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Plus de 200 personnes et 37 entités iraniennes tombent désormais sous le coup des mesures restrictives imposées par l’Union européenne. Les Gardiens de la révolution, l’armée idéologique de la République islamique d’Iran, sont plus particulièrement ciblés.

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Il s’agit de la huitième salve de sanctions visant les protagonistes de la répression orchestrée dans le pays depuis la mort, le 16 septembre dernier, de Mahsa Amini, une jeune femme décédée après son arrestation par la police des mœurs pour avoir “mal porté” son voile. Des sanctions qui se sont étoffées à mesure que les autorités iraniennes continuent de réprimer les manifestants, mais dont la plupart des experts interrogés doutent de l’efficacité.

Les dernières mesures, adoptées le 22 mai, ajoutent cinq noms à la liste des sanctionnés. Le procureur de Sirjan Moshen Nikvarz, le commandant de la police de Téhéran, Salman Adinehvand, ou encore le secrétaire du Conseil suprême iranien du cyberespace, Seyyed Mohammad Amin Aghamiri, se voient ainsi ciblés pour leur rôle dans la surveillance et l’arrestation de manifestants ou les condamnations à mort.

L’IRGC Cooperative Foundation, l’organe chargé des investissements au sein des Gardiens de la révolution, se voit également ajoutée à la liste noire européenne, entraînant le gel des avoirs détenus par la fondation dans l’UE et l’interdiction de tout financement. En Iran, les Gardiens de la révolution possèdent de nombreuses entreprises, notamment dans les secteurs de la construction, des infrastructures de transports et de l’aéroportuaire. Les experts estiment qu’ils tiennent de 20 à 30 % de l’économie, mais le phénomène reste difficile à chiffrer en raison de son opacité, assurée par de nombreuses ramifications et des sociétés créées à différents niveaux, sans traçabilité.

Des fonds qui ne transitent pas par l’Europe

Auteur d’un ouvrage sur les Gardiens de révolution, le chercheur au CNRS Stéphane Dudoignon souligne un problème d’échelle. Seules 216 personnes sont sanctionnées sur les 120 000 à 190 000 membres estimés du corps des Gardiens, dont on sait peu de choses.

Les mesures européennes consistent en un gel des avoirs, une interdiction de voyager dans l’UE et de mettre des fonds ou des ressources économiques à la disposition des personnes figurant sur la liste. Mais “les voix de contournement sont multiples au point de les rendre inefficaces”, ajoute le spécialiste de l’Iran.

“Les Gardiens de la révolution possèdent des avoirs à l’étranger : des fonds placés via un système de corruption généralisé”, explique David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris, citant notamment le classement de Transparency International sur la corruption dans le monde en 2022 qui place l’Iran au 147e rang sur 180 pays.

Une corruption dénoncée au sein même du régime iranien et utilisée comme argument pour écarter de hauts dignitaires lorsqu’ils deviennent trop dérangeants ou à l’occasion de guerres de clans. C’est le cas d’Ali Shamkhani, ancien secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale, la plus haute instance sécuritaire du pays. Ce général des Gardiens de la révolution a été révoqué le 22 mai, accusé notamment de corruption à la suite d’allégations selon lesquelles sa famille aurait engrangé des millions de dollars grâce à une entreprise de transport de pétrole qui aidait l’Iran à échapper aux sanctions – ce qu’il a nié.

Or, les fonds générés dans ce type de détournement transitent rarement par l’Europe, mais plutôt par la Turquie, les Émirat arabes unis, le Qatar, Oman, la Géorgie, le Kazakhstan ou encore le Turkménistan selon une enquête publiée par Paris Match en février. Celle-ci révèle que ces pays ont servi de places financières pour accueillir récemment des fonds issus de la conversion en devises de marchandises sorties clandestinement du pays par les Gardiens de la révolution. Les Émirats arabes unis sont d’ailleurs placés depuis mars 2022 sur la liste grise du Groupe d’action financière (Gafi) – ou Financial Action Task Force –, un observatoire mondial spécialisé dans le blanchiment d’argent.

Pour plus d’efficacité, suggère Kasra Aarabi, responsable du programme sur l’Iran au Tony Blair Institute for Global Change, une “task force” européenne et américaine devrait être mise en place pour identifier et sanctionner les oligarques et les élites du régime iranien vivant en Occident, à l’instar de ce qui se fait pour traquer et sanctionner les oligarques russe fidèles à Vladimir Poutine depuis l’invasion de l’Ukraine, afin de décortiquer les montages financiers, d’enquêter sur les prête-noms et les sociétés-écrans aux mains des membres de la famille de ces oligarques sanctionnés et de les cibler eux aussi avec des sanctions.

“Une solidarité entre sanctionnés”

Par ailleurs, explique un universitaire ayant requis l’anonymat, les principaux investisseurs en Iran étant actuellement les Russes, les Taliban, les milices chiites irakiennes et la Chine, ces pays ne craignent aucunement les sanctions européennes, eux-mêmes en étant victimes. “Cela favorise au contraire une solidarité entre sanctionnés”, avance ce chercheur. Les Gardiens de la révolution restent ainsi à l’abri des sanctions européennes et le pays renforce ses alliances diplomatiques.

“S’il s’agit de semer la zizanie au sein du corps des Gardiens, l’effet est contre-productif”, poursuit cette source. “Les Pasdaran se perçoivent comme une citadelle assiégée donc quand on est sanctionné, on montre sa loyauté au système. Il y a au contraire une promotion des personnalités qui sont ciblées par des mesures occidentales”, souligne-t-il, évoquant le cas d’Ebrahim Raïssi. L’actuel président iranien, inscrit sur la liste noire américaine pour “complicité de graves violations des droits humains” en novembre 2019, a été élu chef de l’État moins de deux ans plus tard.

L’unité du corps des Gardiens est d’autant plus solide, souligne Stéphane Dudoignon, que ceux de la nouvelle génération “doivent tout au Guide suprême”, à la différence des anciens, mis en place par l’ayatollah Khomeini et qui avaient acquis une certaine popularité grâce à leurs exploits militaires ou leurs succès économiques à la tête de grandes compagnies. “On a déjà vu d’anciens officiers appeler les autorités à faire preuve de plus de mansuétude. Mais aujourd’hui, ce serait plus difficile pour ces nouvelles générations, plus recentrées autour d’Ali Khamenei”, ajoute-t-il.

La Student Basij Organisation ciblée

En revanche, souligne Kasra Aarabi, ce dernier train de sanctions européennes comporte un volet inédit. Il s’attaque à un autre groupe jusqu’ici impuni en Europe et intimement lié aux Gardiens de la révolution : la Student Basij Organisation (SBO). Cette branche de l’organisation Basij est accusée de mener une répression violente sur les campus des universités. Les Gardiens supervisent ce corps de volontaires islamistes dans les universités, qui a été déployé face aux manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini.

“Ceux qui en font partie ne pourront plus voyager, étudier ou travailler en Europe. Les membres de la SBO peuvent être facilement identifiés grâce à un certain nombre de méthodes, y compris le renseignement en open source, étant donné que cette organisation dispose de sites web publics avec des listes accessibles dans chaque université iranienne”, raconte le chercheur irano-britannique, auteur d’un article dédié à ce groupe. D’après lui, les membres de la SBO seront, eux, concrètement affectés par les sanctions européennes puisqu’ils voyageaient et travaillaient en Europe. “L’État iranien leur accorde des bourses et des subventions spéciales pour cela, comme une sorte de privilège pour les fidéliser”, décrit-il.

Une base légale pour des poursuites à venir

De l’avis de la plupart des experts interrogés, si les sanctions successives mises en place par les Européens ne risquent pas de faire tomber le régime ou d’appauvrir les Gardiens, il s’agit avant tout de montrer que l’UE maintient une pression sur cette organisation, notamment “pour satisfaire les opinions publiques européennes” marquées par la répression des manifestations en Iran.

Membre du collectif Iran Justice, l’avocat franco-iranien Hirbod Dehghani-Azar souligne l’importance de rendre les noms publics. “L’UE produit des sanctions individuelles pour nous faire plaisir. C’est un pis-aller, même si ça a une certaine efficacité car les personnes sanctionnées ne pourront se permettre de dandiner de par le monde, ça les montre du doigt et ça leur fait perdre des opportunités. N’oublions pas que ça leur fait perdre de l’argent de détourner les sanctions.”

L’avocat, qui collecte avec des collègues d’Iran et de la diaspora les preuves des exactions des forces de sécurité de la République islamique, mise sur l’avenir. Il estime que ces sanctions serviront de base légale pour des poursuites : “Elles alimentent un faisceau d’indices qui offre de la matière à notre action.” Il œuvre notamment pour faire inscrire le corps des Gardiens de la révolution sur la liste des organisations terroristes. Une demande de la diaspora iranienne et des eurodéputés, à laquelle le Conseil européen n’a pas donné suite.

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