Connect with us

Hi, what are you looking for?

Monde

Retraites : “Ces manœuvres alimentent le discours sur le déni de démocratie”

La majorité présidentielle a supprimé mercredi en commission l’article 1 de la proposition de loi du groupe Liot qui visait à abroger la réforme des retraites. Au cœur des débats, l’utilisation de l’article 40 de la Constitution sur la recevabilité financière des propositions de loi. Un nouvel usage des outils du parlementarisme rationalisé qui pose question, selon la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina.

Publicité

Advertisement

La séquence des retraites aura au moins eu le mérite de familiariser les Français avec la Constitution. Après l’utilisation des articles 47.1, 42.2, 44.3 et 49.3, c’est l’article 40 qui s’est retrouvé au centre des débats ces derniers jours et qui devrait l’être à nouveau le 8 juin, lors de l’arrivée dans l’Hémicycle de la proposition de loi du groupe Liot d’abrogation de la réforme des retraites.

Une proposition de loi totalement dénaturée puisque la majorité présidentielle est parvenue, mercredi 31 mai, lors de l’examen du texte en commission, à supprimer l’article 1 qui visait à abroger le passage de l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans. Ainsi, les députés Liot, soutenus par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), le Rassemblement national et une partie des Républicains, devront réintroduire le 8 juin cet article, cette fois-ci sous la forme d’un amendement, pour que leur texte puisse être voté avec le symbole recherché d’une Assemblée nationale votant contre la réforme des retraites.

À lire aussi Le chemin tortueux de la réforme des retraites met toujours le gouvernement sous tension

C’est à ce moment-là qu’interviendra a priori la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. “Je prendrai mes responsabilités”, a-t-elle affirmé mardi, faisant ainsi comprendre qu’elle jugerait cet amendement irrecevable, au titre de l’article 40 de la Constitution. Celui-ci stipule que les propositions de loi et les amendements des parlementaires ne peuvent entraîner une diminution des recettes ou un alourdissement des charges publiques.

Mais comme souvent avec la Constitution, il y a la lettre et l’esprit de la loi. C’est en substance ce qu’explique Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste et maîtresse de conférences en droit public à l’Université de Rouen, pour qui il y a “des arguments de raison” aussi bien du côté de la majorité présidentielle que de l’opposition.

France 24 : La majorité présidentielle est parvenue à vider de sa substance la proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites. Cette fois-ci, elle s’appuie sur l’article 40 de la Constitution qui devrait permettre à la présidente de l’Assemblée nationale d’empêcher le retour de l’article abrogeant le passage à 64 ans.

Anne-Charlène Bezzina : Ce rodéo au sujet de cette proposition de loi, avec la présidente de l’Assemblée nationale qui la laisse passer au moment de son dépôt, puis le président de la commission des Finances qui, saisi au titre de l’article 40, la valide lui aussi, avant que les députés de la majorité présidentielle ne suppriment en commission l’article 1, en attendant sa possible réintroduction le 8 juin sous la forme d’un amendement, c’est une première.

On voit bien qu’il y a au gouvernement et au sein de la majorité une atmosphère de panique à bord. Ces manœuvres pour éviter un vote symbolique sur la réforme des retraites le 8 juin posent question. Tout cela alimente le discours de l’opposition sur le déni de démocratie et la peur de la discussion sur les retraites. D’autant qu’il y a eu du flottement dans la stratégie, y compris chez Yaël Braun-Pivet, qui a fait évoluer sa position ces derniers jours, en passant de la défense du Parlement à celle de l’article 40 de la Constitution. Finalement, l’exécutif était face à un dilemme : barrer la route à cette proposition de loi et passer à nouveau pour un gouvernement qui manipule la Constitution ou la laisser aller jusqu’au vote dans l’Hémicycle, prendre le risque d’une défaite et en sortir affaibli.

La proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites était-elle anticonstitutionnelle, comme l’affirment la Première ministre et la majorité ?

C’est ni tout blanc, ni tout noir. La vérité des chiffres fait que cette proposition de loi est contraire à l’article 40 de la Constitution dans sa philosophie, car non seulement elle aggrave les charges publiques, mais en plus elle diminue les ressources. Donc, si on s’en tient au texte, l’abrogation de la réforme des retraites est effectivement anticonstitutionnelle.

Sauf que cette argumentation est théorique. Car dans la pratique, la coutume veut qu’on accepte les propositions de loi dites “gagées” comme c’est le cas avec celle-ci, qui instaure une compensation grâce aux taxes sur le tabac. C’est extrêmement courant. Il n’y a pas une proposition de loi qui n’a pas “gagé” sur le tabac, c’est vraiment la tradition dans la pratique parlementaire.

Il y a donc des arguments de raison des deux côtés, chacun allant trouver ceux qui vont dans leur sens. En revanche, ce qui est certain, c’est qu’il apparaît délicat de naviguer entre l’orthodoxie de l’article 40 et la volonté de laisser les propositions de loi prospérer. Si on prenait à la lettre la Constitution, il n’y aurait jamais aucune proposition de loi. C’est pourquoi le bureau de l’Assemblée nationale a l’habitude d’être très souple concernant le respect de l’article 40 de manière à ne pas étouffer l’initiative parlementaire lors des niches parlementaires de l’opposition.

Entre l’utilisation des articles 47.1, 42.2, 44.3, 49.3 et maintenant de l’article 40 de la Constitution, que révèle cette séquence des retraites sur les rapports entre exécutif et législatif et sur le rôle du Parlement en France ?

Il y a eu durant toute cette séquence des retraites une utilisation des outils constitutionnels qui pose la question de leur légitimité, avec une forme de mésusage, notamment sur le choix du véhicule législatif qui a permis de restreindre la durée des débats. Le fait que la Constitution ne soit qu’un outil aux mains d’une majorité et qu’on puisse faire dire au droit le sens politique qu’on veut bien lui donner a créé un ressentiment plus grand au sein de la population. Car tout ce que la Constitution permet n’est pas forcément dans l’esprit de la Ve République. Respecter le texte de la Constitution ne suffit pas. Au fond, ce que les Français retiennent, c’est une extrême fébrilité de cette majorité, qui a dû utiliser les outils du parlementarisme rationalisé pour passer sa réforme.

Le Parlement a été peu entendu, alors qu’il y a presque un an, après les législatives, le discours du gouvernement et de la majorité consistait à dire que la nouvelle physionomie de l’Assemblée nationale, sans majorité absolue, était une chance pour la démocratie, qu’on allait devoir apprendre à gouverner à l’allemande. Élisabeth Borne parlait de construire des majorités “de projet”. Mais ces quelques mois ont montré que nous étions mauvais élèves. Le gouvernement a négligé le temps nécessaire en voulant aller vite à tout prix. En Suède, par exemple, il faut deux ans pour voter une réforme des retraites. L’opinion est beaucoup moins favorable à des majorités très fortes. On ne peut plus gouverner aujourd’hui comme hier. Le rapport entre exécutif et législatif, la place du Parlement, ce sont des questions qu’il faudra se poser dans le cadre d’une réforme institutionnelle.

You May Also Like

En Vedette

Le parlement polonais accueillera des experts et des organisations le lundi 12 septembre pour aborder le sujet urgent du traumatisme psychologique subi par la...

En Vedette

KAPIKULE, TURQUIE, 24 mai, 9:00 GMT]- Plus de 100 membres de la religion Ahmadi de paix et de lumière, une minorité religieuse persécutée, qui...

Monde

En marge de la visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky en Europe, des comptes ont partagé des images montrant trois propriétés de luxe qui...

Monde

Les sociétés militaires privées sont de nouveaux noms pour un vieux phénomène, les mercenaires.  Depuis les années 1990 le poids de SMP a été...