Connect with us

Hi, what are you looking for?

Monde

En Thaïlande, une aspiration au changement et un tabou sur la monarchie qui “s’estompe”

Il y a encore quelques années, critiquer publiquement la monarchie était totalement tabou en Thaïlande. Dimanche soir, c’est pourtant un parti politique qui appelle ouvertement à réformer le statut de la royauté qui est arrivé en tête des élections législatives. Tout un symbole d’une aspiration au changement dans ce pays, après une décennie d’immobilisme sous le gouvernement des militaires.

Publicité

“Ensemble, nous allons construire la Thaïlande dont nous rêvons, et le plus rapidement possible”, a assuré devant les caméras Pita Limjaroenrat, lundi 14 mai. La veille, son parti progressiste Move Forward (“aller de l’avant”) a provoqué la surprise en Thaïlande en s’imposant en tête des élections législatives. Un revers immense pour les militaires au pouvoir depuis un coup d’État en 2014 et un résultat perçu comme “un appel au changement” sans précédent.

Advertisement

Depuis plusieurs mois, le charismatique homme de 42 ans, désormais candidat au poste de Premier ministre, s’est affiché comme celui qui transformerait en profondeur le pays, égrenant de meeting en meeting ses projets de réformes. Parmi ses principaux objectifs : “démilitariser” la société, modifier voire abolir le service militaire, dépénaliser l’avortement mais aussi réformer la monarchie, en particulier la sévère loi de lèse-majesté. Une proposition encore inconcevable il y a quelques années dans le royaume bouddhiste, où la monarchie a longtemps été un sujet tabou.

>> À lire aussi : Thaïlande : Pita Limjaroenrat, l’opposant qui veut mettre fin au régime militaire

“C’est un moment extrêmement important dans l’histoire de la Thaïlande”, réagit Kevin Hewison, spécialiste de la politique thaïlandaise et professeur émérite à l’Université de Caroline du Nord, aux États-Unis. “Environ 14 millions d’électeurs – soit 36 % des suffrages – ont voté pour Move Forward, s’affichant prêts à de grands changements pour leur pays.”

“Tous se sont prononcés en sachant parfaitement que le parti réclamait une réforme de la monarchie”, poursuit-il. “C’est la preuve que ce tabou s’estompe et que nous entrons dans une nouvelle dynamique.”

Traditionnellement, le roi est érigé au statut de “demi-dieu” en Thaïlande. Des portraits à son effigie s’affichent en grands dans les rues et la population doit lui rendre hommage quotidiennement. La monarchie est protégée par la l’article 112 de la Constitution, l’une des lois de lèse-majesté parmi les plus strictes au monde : tout propos jugé critique ou offensant à l’égard du roi ou d’un autre membre de la famille royale est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison. 

Le tournant des manifestations de 2020

“Les manifestations d’une ampleur inédite qui ont déferlé dans le pays en 2020 ont marqué un tournant”, analyse le spécialiste. Pendant plusieurs mois, des milliers de personnes, majoritairement des étudiants, sont descendues quasi quotidiennement dans les rues de la capitale, Bangkok, pour crier leur ras-le-bol contre le gouvernement et demander une réforme de la monarchie.

Les manifestants y réclamaient la démission du Premier ministre Prayuth Chan O-cha, la dissolution du Parlement et la réécriture de la Constitution de 2017, très favorable aux militaires. D’autres avaient créé la stupeur en listant pour la première fois des revendications pour réformer la monarchie. Ils appelaient notamment à réduire le budget de fonctionnement de la famille royale et à réformer l’article 112. 

Avec une fortune estimée à 60 milliards de dollars, le monarque Maha Vajiralongkorn, monté sur le trône en 2016, souffre d’une popularité bien moindre que celle de son père Bhumibol Adulyadej, vénéré pendant ses 70 ans de règne. On lui reproche notamment d’avoir apporté des changements sans précédent après son accession au trône en prenant le contrôle direct des actifs royaux et en plaçant des unités de l’armée sous son commandement immédiat.

Au fil des semaines, le spectre des revendications des militants prodémocratie s’est peu à peu élargi, les rassemblements devenant le centre de revendications sociétales beaucoup plus larges. Dans le cortège, des pancartes appelaient ainsi, par exemple, à la dépénalisation de l’avortement, d’autres à la défense des droits des personnes LGBTQI+. 

“Autant de demandes reprises par Move Forward”, explique Kevin Hewison. “Le mouvement a ouvertement pris le parti des manifestants et a puisé son programme électoral directement dans leurs revendications.” Le parti a par ailleurs aidé à plusieurs reprises des activistes poursuivis pour lèse-majesté dans leurs démêlés avec la justice. Dans la foulée du mouvement prodémocratie, les autorités ont inculpé au moins 2 015 personnes, dont 17 mineurs, pour violation de l’article 112, selon l’ONG de défense des droits humains Thai Lawyers for humans rights.

Trois ans plus tard, certaines figures phares du mouvement se sont ainsi portées candidates au sein du parti et ont réussi à rafler un siège au Parlement. 

“Début mars, la grève de la faim de deux jeunes femmes, Tawam et Bam, pour réclamer une réforme de la loi de lèse-majesté a aussi beaucoup frappé l’opinion publique et conforté Move Forward”, abonde encore le spécialiste. Elles étaient poursuivies pour lèse-majesté pour avoir organisé un “sondage” dans un grand centre commercial du centre de Bangkok où elles demandaient aux gens s’ils étaient gênés par le passage de cortèges royaux dans les rues. Peu après avoir recommencé à s’alimenter, Tawam apparraissait sur la scène aux côtés de Pita Limjaroenrat lors d’un meeting. 

>> À lire aussi : En Thaïlande, une grève de la faim contre le crime de lèse-majesté

En 2021, des experts des droits de l’homme de l’ONU avaient par ailleurs exprimé de vives inquiétudes quant à l’utilisation de plus en plus sévère par la Thaïlande de cette loi de lèse-majesté, perçue comme un outil de répression politique aux mains des militaires.

De nombreux obstacles avant une potentielle réforme

Mais malgré la victoire de Move Forward dimanche, les obstacles seront nombreux avant d’arriver à une réforme concrète de l’article 112. Même si Pita Limjaroenrat a annoncé lundi une coalition avec le Pheu Thai, l’autre grand parti d’opposition arrivé deuxième du scrutin, les deux mouvements ensemble risquent de ne pas réussir à contrer le poids des militaires, les garants traditionnels de la monarchie.  

La Constitution de 2017 offre en effet de facto le contrôle du Sénat aux militaires. L’opposition doit donc obtenir 376 sièges sur les 500 de l’Assemblée nationale pour espérer avoir une majorité et peser sur la sélection du Premier ministre, soumise à un vote conjoint entre les deux chambres.

“Cela va contraindre les deux partis à trouver d’autres alliances”, note Kevin Hewison, qui entrevoit des tractations ardues de plusieurs semaines. “Et la question de la monarchie et de son statut pourrait compliquer ces discussions et obliger Move Forward à revoir sa position.”

“Autre obstacle : les résultats des élections ne seront pas définitifs avant plusieurs semaines, laissant beaucoup de temps pour voir émerger des allégations de fraudes”, poursuit le spécialiste, qui n’écarte pas non plus le risque d’un nouveau coup d’État dans ce pays qui en a connu 12 réussis depuis 1932. “Un scénario qui est toujours possible mais qui pourrait provoquer des manifestations massives dans tout le pays”, estime-t-il.

Sans compter que Pita Limjaroenrat reste aussi aujourd’hui sous la menace d’une disqualification. En effet, ce dernier est accusé par le gouvernement de Prayuth Chan O-cha de détenir des actions dans une société de médias – ce que le code électoral interdit. Celui-ci s’en défend mais c’est exactement ce scénario qui avait conduit à la dissolution en 2020 de “Future Forward”, l’ancêtre de Move Forward. 

“Ce qui est sûr, c’est que les militaires feront tout ce qui est en leur pouvoir pour continuer à s’afficher comme des soutiens indéfectibles de la monarchie”, affirme le spécialiste. “Ce ne serait d’ailleurs pas étonnant qu’ils se servent de ce projet de réforme de l’article 112 comme argument pour contourner le résultat du vote.”

“Et quand bien même Move Forward parviendrait à surmonter tous ces obstacles, il paraît presque impossible de parvenir à un compromis politique sur une réforme de l’article 112”, conclut le Kevin Hewison. “Au mieux, on pourrait envisager que la loi devienne quasi caduque et non utilisée. Mais, selon moi, elle n’est pas près de disparaître.”

You May Also Like

En Vedette

Le parlement polonais accueillera des experts et des organisations le lundi 12 septembre pour aborder le sujet urgent du traumatisme psychologique subi par la...

En Vedette

KAPIKULE, TURQUIE, 24 mai, 9:00 GMT]- Plus de 100 membres de la religion Ahmadi de paix et de lumière, une minorité religieuse persécutée, qui...

Monde

En marge de la visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky en Europe, des comptes ont partagé des images montrant trois propriétés de luxe qui...

Monde

Les sociétés militaires privées sont de nouveaux noms pour un vieux phénomène, les mercenaires.  Depuis les années 1990 le poids de SMP a été...