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Le RN “héritier de Pétain” : comment le discours d’opposition à l’extrême droite a évolué

Mardi, Emmanuel Macron a recadré Élisabeth Borne pour ses propos sur le Rassemblement national, qu’elle a qualifié dimanche de parti “héritier” de Philippe Pétain. S’agit-il de “mots des années 1990”, comme le prétend le chef de l’État ? Le discours des oppositions françaises vis-à-vis du parti d’extrême droite a-t-il évolué au fil des décennies ? Éclairage.

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“Il lui a mis un scud”, a commenté un membre du gouvernement ayant assisté au recadrage par Emmanuel Macron de la Première ministre lors du Conseil des ministres, mardi 30 mai. Le président français serait en effet revenu sur les propos de la cheffe du gouvernement tenus dans le week-end. Invitée sur Radio J, Élisabeth Borne a déclaré ne pas croire “à la normalisation” du Rassemblement national : “Je pense qu’il ne faut pas banaliser ses idées, ses idées sont toujours les mêmes. Alors maintenant, le Rassemblement national y met les formes, mais je continue à penser que c’est une idéologie dangereuse”, a-t-elle jugé. Et d’assurer que le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella était “héritier” de Philippe Pétain, chef du régime de Vichy qui collabora avec l’Allemagne nazie, en référence aux cofondateurs du Front national anciens Waffen SS.

Ce à quoi Emmanuel Macron lui a vertement répondu qu’il ne fallait pas combattre le Rassemblement national avec des “mots des années 90 qui ne fonctionnent plus”. Et de poursuivre : “Vous n’arriverez pas à faire croire à des millions de Français qui ont voté pour l’extrême droite que ce sont des fascistes.” “Le combat contre l’extrême droite ne passe plus par des arguments moraux”, “il faut décrédibiliser” le RN “par le fond et les incohérences”.


Une nécessaire adaptation du discours

Un différend qui illustre toute la difficulté des responsables politiques à combattre le Rassemblement national. De ces divergences émerge la question de l’évolution du discours des oppositions. Les arguments visant à contrer les idées d’extrême droite doivent-ils changer avec le temps ? “Oui, affirme Christian Delporte, historien spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la France du XXe siècle. Il est nécessaire d’adapter son discours à celui de son adversaire. Or le discours du Front national puis du Rassemblement national a évolué car ses dirigeants ont évolué. Il apparaît clairement que les arguments de rejet de l’extrême droite que les oppositions brandissaient dans les années 1980 et 1990 ne marchent plus. Il y a vingt ou trente ans, chacun avait conscience du danger. Quand on demandait aux électeurs si le Front national était un parti comme un autre, ils répondaient ‘non’. À la même question, les électeurs répondent aujourd’hui que ce parti n’est pas différent des autres. Il faut dire que Marine Le Pen, bien différente de Jean-Marie Le Pen, a considérablement lissé son discours au point qu’il est devenu de plus en plus difficile de s’y opposer tant son électorat est représenté géographiquement et socialement partout.”

Est-ce à dire qu’il faut le traiter comme n’importe quel autre parti ? Christian Delporte ne le croit pas. “Emmanuel Macron a tort quand il dit qu’il ne faut plus évoquer les origines pétainistes du Rassemblement national. Il faut certes combattre politiquement les idées et les propositions actuelles du RN, tout en rappelant le danger à voir monter au pouvoir un parti qui prend racine dans le pétainisme. Car jamais Marine Le Pen n’a rompu avec les origines de son parti créé par d’anciens pétainistes et collaborateurs. On ne peut pas combattre la conjoncture du parti sans évoquer sa structure. Élisabeth Borne a eu raison de le rappeler.”

De l’indifférence à la sidération

Au commencement, lorsque le parti fut créé en 1974, le discours d’opposition politique vis-à-vis du Front national (FN) était inexistant. “Le FN était lui-même considéré comme marginal : il ne disposait ni de militants, ni de cadres, ni d’argent, rappelle Christian Delporte. À l’époque, on connaissait davantage le mouvement d’extrême droite Ordre nouveau.”

Ce n’est qu’au début des années 1980 que les oppositions françaises vont commencer à aiguiser leur discours à l’encontre de cette force politique nouvelle. Le Front national entre véritablement dans la vie politique un soir de septembre 1983, lors d’une élection partielle à Dreux, dans l’Eure-et-Loir. Le candidat du Front national, Jean-Pierre Stirbois, obtient 16,7 % des suffrages. Une poussée sans précédent de l’extrême droite qui marque une victoire bien plus importante que l’élection de son chef Jean-Marie Le Pen, au mois de mars précédent. “Cet événement a suscité pour la première fois en France une vague d’émoi à gauche comme à droite, indique Olivier Rouquan, politologue et chercheur associé au Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (Cersa). Les condamnations des oppositions relèvent plutôt à cette époque de la réprobation émotionnelle et morale. On souligne le fait que les projets du Front national ne font pas partie du pacte républicain.”

Outre la morale, “on convoque aussi les sciences pour tenter de comprendre ce phénomène nouveau, poursuit Olivier Rouquan. C’est à cette époque qu’émergent différentes études pour comprendre la progression des idées d’extrême droite.”


Il serait par ailleurs inexact d’affirmer que l’opposition à l’extrême droite ne s’est faite que sur le plan de la morale. “Dès les années 1980, lorsque Jean-Marie Le Pen fait de l’immigration l’un de ses grands thèmes de campagne, les oppositions confrontent déjà le parti sur le terrain des idées.”

Des années 1980 à 2000, sous les mandats de François Mitterrand et Jacques Chirac, “lorsque les présidents en exercice condamnaient avec véhémence et mobilisaient les forces sociales contre le Front national, le parti était moins légitime et ses idées inspiraient moins la classe politique.” Au contraire, “lors des décennies suivantes au cours desquelles les chefs de l’État se sont moins mobilisés sur ces questions, les idées du FN se sont plus largement diffusées”.

L’exécutif combat-il vraiment le RN ?

Le positionnement et le discours des médias vis-à-vis du Front national a aussi évolué. “Au départ, il n’était pas question d’inviter Jean-Marie Le Pen sur les plateaux télévisés, indique Christian Delporte. Puis les journalistes ont commencé à le recevoir pour déconstruire ses idées. Aujourd’hui, Marine Le Pen est reçue comme n’importe quel autre responsable politique, eu égard à l’équité des temps de parole. Mais lorsqu’un journaliste tente de la déstabiliser, elle l’accuse de vouloir la diaboliser. Et s’il n’y a pas d’opposition des médias, elle peut dérouler son discours. Les journalistes sont tout aussi coincés que les opposants politiques.”

Reste une question : les opposants politiques ont-ils toujours la volonté de combattre le Rassemblement national ? Rien n’est moins sûr, affirme Olivier Rouquan. Mais lorsque François Mitterrand voulait donner de la visibilité au Front national dans les médias pour diviser la droite dans les années 1980, “le parti ne connaissait pas les scores qu’il connaît actuellement. Raviver aujourd’hui la flamme du RN, c’est jouer à un jeu très dangereux.”

En balayant les racines idéologiques du parti d’extrême droite, “Emmanuel Macron ne semble pas vraiment chercher à combattre le Rassemblement national, estime Michel Wieviorka, politologue et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Par leurs propos, Emmanuel Macron tout comme Élisabeth Borne remettent surtout le Rassemblement national au cœur des préoccupations en le présentant comme le principal parti d’opposition, en occultant tous les autres. Ce n’est pas avec ce genre de considérations que l’exécutif va réellement combattre les idées d’extrême droite.”

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