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“Je suis né alévi, je ne l’ai pas choisi” : en Turquie, le rêve d’égalité d’une minorité

De notre envoyée spéciale à Pazarcik, sud-est de la Turquie – Elle représente 15 à 20 millions de personnes. Persécutée à travers l’histoire, la minorité alévie subit encore aujourd’hui de nombreuses discriminations en Turquie. La candidature de Kemal Kilicdaroglu, membre de cette communauté, à la présidentielle du 14 mai relance l’espoir d’une reconnaissance officielle de leurs droits.

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Du deuxième étage, il ne reste rien. Ou presque. La cemevi, littéralement “la maison du rassemblement” en turc, a pourtant gardé ses portes grandes ouvertes à Pazarcik, dans la province de Kahramanmaras, dans le sud de la Turquie. Lourdement endommagé par les tremblements de terre du 6 février, le lieu de culte alévi sert désormais à stocker l’aide pour les sinistrés.

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“Nourriture, vêtements, produits pour bébé… Rien n’a été payé par l’État. L’aide est financée en partie par les centres alévis de Turquie mais surtout par la diaspora”, explique Hasan Huseyin Dégirmenci, président de l’association culturelle alévie (ADK) de la ville. 

Endommagé par le séisme du 6 février 2023, le cemevi de Pazarcik sert de lieu de stockage de  l'aide aux victimes.
Endommagé par le séisme du 6 février 2023, le cemevi de Pazarcik sert de lieu de stockage de l’aide aux victimes. © Assiya Hamza

Au centre de l’immense pièce aux murs vert criard et jaune clair, des chaises empilées, des tables pliantes, des cartons éventrés. Partout une épaisse couche de poussière. Et d’inquiétantes lézardes. “Beaucoup de cemevis ont été détruits. Ils reconstruiront les mosquées, pas les cemevis”, ajoute le septuagénaire en précisant que le lieu de culte a été construit avec des fonds recueillis par la vente “de thé et de café dans les mariages de la diaspora en Suisse”.

Les douze imams priés par les alévis sont représentés dans la grande salle du cemevi de Pazarcik.
Les douze imams priés par les alévis sont représentés dans la grande salle du cemevi de Pazarcik. © Assiya Hamza

Au-dessus de l’estrade, à l’extrémité de la salle, d’immenses icônes. Des visages. Ceux des douze imams : Ali, gendre et cousin du Prophète Mohammed, et sa lignée. Le douzième est l’imam “caché”, celui qui doit revenir à la fin des temps, mais dont les traits ne sont pas représentés. Sans oublier Haci Bektas Veli, grand philosophe turc du XIIIe siècle et fondateur du bektashisme, un ordre religieux de l’alévisme. Dans un recoin de la pièce, l’incontournable Ataturk, fondateur de la République turque et chantre de la laïcité.

Le portrait d'Ataturk accroché dans la grande salle du cemevi de Pazarcik.
Le portrait d’Ataturk accroché dans la grande salle du cemevi de Pazarcik. © Assiya Hamza

L’alévisme, une vieille croyance syncrétique anatolienne

Difficile de définir ce qu’est l’alévisme. D’aucuns la qualifie de secte, d’autres de religion, de branche de l’islam proche du chiisme ou du soufisme. Mais ils ne sont ni sunnites, ni chiites. “Nous les têtes rouges (kızılbaş en turc, référence à la coiffe rouge des alévis sous l’Empire ottoman) nous n’avons aucun rapport avec les chiites, insiste Hasan Huseyin. Ali est chiite. À chaque cem (rassemblement), nous prions pour les 12 imams pour que la prière soit complète”.

Leur croyance est un syncrétisme mêlant philosophie, pratiques gnostiques, soufies et chrétiennes. Contrairement aux musulmans, les alévis ne prient pas cinq fois par jour, ils n’effectuent pas le pèlerinage à La Mecque, ils ne font pas le ramadan et ne proscrivent pas l’alcool. Chaque jeudi, une cérémonie, le cem, est organisée sous l’égide d’un dédé (littéralement “grand-père”). Les hommes et femmes sont mélangés et prient ensemble. À la fin du culte, les fidèles exécutent une danse appelée le semah, sur les notes d’un instrument traditionnel à cordes appelé le saz.

“La principale règle est la justice. Tu ne fais pas ce que tu ne veux pas que l’on te fasse. Tu ne dis pas les choses que tu ne veux pas que l’on te dise. Nous n’avons pas de livre. Notre croyance est transmise à l’oral, précise Hasan Huseyin. Nous respectons les quatre livres sacrés (Coran, Bible, Torah et Livre des Psaumes) et nous attendons le même respect des autres. Les autorités ne nous reconnaissent pas mais nous sommes là”.

“Ils ont tué des enfants”

En Turquie, l’histoire des alévis est jalonnée de pogroms et de persécutions. De l’Empire ottoman jusqu’à l’époque contemporaine, ils ont été considérés comme des apostats, des mécréants et victimes du fanatisme islamiste.

Hasan HuseyinDégirmenci a survécu au “massacre de Maras”(diminutif de Kahramanmaras)une centaine de Kurdes alévis furent tués par des groupes fascistes et ultranationalistes, selon les chiffres officiels, plus de 500 selon les chercheurs, et des centaines d’autres blessés, entre le 19 et le 26 décembre 1978.

“Il y avait une lutte entre la gauche et la droite (les ultranationalistes du MHP et les communistes) mais les groupes armés s’en sont pris aux alévis. Ils ont tué des enfants, ils ont éventré les femmes enceintes, se souvient-il. À cette époque, il y avait beaucoup d’alévis à Maras et la communauté était économiquement forte. Ils ont fait ça pour nous diviser et nous affaiblir. Ils ont transformé l’histoire en disant que c’était entre les sunnites et les alévis”.

Un autre pogrom marque la mémoire alévie. Le 2 juillet 1993, un incendie criminel fut provoqué par des fanatiques islamistes dans un hôtel à Sivas, ville du centre de la Turquie connue pour son conservatisme religieux. Des intellectuels, pour la plupart alévis, y étaient réunis pour célébrer Pir Sultan Abdal, un poète alévi du XVIe siècle. Le drame fit 37 morts parmi lesquels 33 alévis. Les visages de ces “martyrs”, recouvrent d’ailleurs l’un des murs de la salle principale du cemevi.

Les portraits des victimes du massacre de Sivas le 2 juillet 1993.
Les portraits des victimes du massacre de Sivas le 2 juillet 1993. © Assiya Hamza

Maisons régulièrement marquées d’une croix, menaces de mort, personnesagressées pour ne pas avoir suivi le jeûne du ramadan… La minorité alévie dénonce régulièrement les discriminations dont elle est victime. “Quand j’étais jeune on n’avait pas le droit de parler kurde. Après le massacre de Maras nous avons caché notre foi. Aprèscelui de Sivas en 1993, les gens ont refusé de subir”, poursuit le président de l’association culturelle alévie.

“Nous les alévis, nous avons espoir”

Aujourd’hui, la communauté alévie réclame la reconnaissance de ses droits. “Je suis né alévi, je ne l’ai pas choisi. J’ai une carte d’identité, j’ai fait mon service militaire, je paye mes impôts. Je remplis tous mes devoirs de citoyen. Il y a entre 15 et 20 millions d’alévis en Turquie. Tout ce que nous demandons, c’est d’être reconnus dans la Constitution”.

Tous les regards se posent désormais surKemal Kilicdaroglu. Le candidat de l’alliance de l’opposition a récemment brisé un tabou en affirmant publiquement son identité alévie. S’il est élu le 14 mai face à Recep Tayyip Erdogan,il deviendrait le premier président alévi de l’histoire de la Turquie.

“Nous les alevis, nous avons espoir. On n’abandonne jamais. Un candidat alevi utilisera ses croyances en la morale et la justice. Il y a d’autres minorités en Turquie : des Kurdes, des Syriens, yézidis. Il ne pointera personne du doigt, affirme Hasan HuseyinDégirmenciqui ne cache pas sa peur en cas de réélection du président sortant. On ne peut pas continuer comme ça. Les chrétiens ont quitté cette terre. S’il est réélu les alevis partiront”.

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