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Mayotte : face à la France, le “double discours” des Comores

À Mayotte, l’opération “Wuambushu” a pour but d’expulser massivement les étrangers en situation irrégulière de l’île et de détruire les bidonvilles. Les Comores, dont l’immense majorité des migrants sont originaires, refusent d’accepter les bateaux des expulsés et tiennent un “double discours” à l’État français, selon Nathalie Mrgudovic, maîtresse de conférences à l’université Aston, en Angleterre, et spécialiste des outre-mer français.

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À peine commencée, l’opération “Wuambushu” bloque déjà. La justice a suspendu l’évacuation prévue mardi d’un bidonville à Mayotte, dans l’océan Indien, dans le cadre de cette vaste action des autorités françaises lancée au nom de la lutte contre la délinquance et l’habitat insalubre.

Outre ce revers judiciaire, l’État français fait face à une déconvenue diplomatique. Les Comores ont refusé, lundi, l’accostage d’un navire transportant une soixantaine de personnes en provenance de Mayotte. Dès le 10 avril, la présidence comorienne avait appelé la France à “renoncer” à l’opération.

Les relations entre les deux pays n’ont jamais été faciles. Faisant géographiquement partie de l’archipel comorien, Mayotte s’est séparée des Comores en 1974, à la suite d’un référendum où les trois autres îles ont pris leur indépendance. Depuis, les Comores ne reconnaissent pas l’appartenance de Mayotte à la France.

Analyse de la situation avec Nathalie Mrgudovic, maîtresse de conférences à l’université Aston, en Angleterre, et spécialiste des outre-mer français.

France 24 : Pourquoi les relations entre la France et les Comores sont-elles particulièrement sensibles ?

Nathalie Mrgudovic : Malgré les efforts diplomatiques entre les deux pays sous les mandats de François Hollande et d’Emmanuel Macron, il y a un réel double discours de la part des Comores. Lors des pourparlers en 2019, les autorités comoriennes se sont notamment engagées à coopérer avec Paris pour mieux contrôler l’immigration clandestine vers Mayotte, en échange d’une aide au développement de 150 millions d’euros. Mais en réalité, rien n’est fait rien pour limiter ce phénomène. Par ailleurs, le président comorien Azali Assoumani a déclaré que “les Comoriens qui sont à Mayotte sont chez eux”. Cela fait aussi partie du double discours, car les Comores ont toujours empêché l’intégration régionale de Mayotte dans les organismes régionaux, comme la Commission de l’océan Indien, qui regroupe notamment La Réunion pour la France, ou Madagascar et Maurice.

L’explication remonte à 1974, lors du référendum que les Comores ont déclaré illégal. À cette époque, l’archipel dispose du statut de Territoire d’outre-mer, doté d’un droit d’autodétermination. Sur les quatre îles, trois se déclarent majoritairement en faveur de l’indépendance. Mais pas Mayotte, qui a toujours revendiqué son appartenance à la France. L’île a alors réclamé le statut de département afin d’obtenir un niveau de vie similaire à ce que les Mahorais pouvaient observer à La Réunion. Elle l’a finalement obtenu en 2011.

Peut-on imaginer un apaisement entre les deux pays ?

Si la communauté internationale et les pays voisins de l’océan Indien avaient une position plus catégorique face aux Comores qui ne reconnaissent pas l’appartenance de Mayotte à la France, peut-être. La communauté internationale s’intéresse un peu au sujet, mais cela ne va pas assez loin à mon sens. Les Comores sont rarement contredites lorsqu’elles dénoncent la mainmise de la France sur Mayotte. Cet avis a même été partagé pendant plusieurs décennies par les Nations unies, qui rappelaient “l’intégrité territoriale” de l’archipel.

Par ailleurs, je suis assez étonnée que l’île Maurice, Madagascar ou les Seychelles ne soutiennent pas plus la France à ce sujet. Ils restent assez discrets. Pourtant, la région aurait peu à gagner à voir Mayotte retomber dans le giron comorien. Mayotte perdrait non seulement son statut de région ultrapériphérique (RUP) et donc un nombre important de subventions et d’aides européennes, mais aussi le soutien financier français. Aujourd’hui, la position comorienne est essentiellement politique, ce qui cristallise les tensions.

Que révèlent les tensions depuis l’annonce de l’opération “Wuambushu” ?

C’est une preuve supplémentaire que l’immigration clandestine reste un point de crispations entre la France et les Comores. Aujourd’hui, l’État français veut essayer de freiner l’arrivée de migrants, notamment de Comoriens, en durcissant l’attribution de la nationalité française à Mayotte. Pour qu’un enfant acquière ce droit, l’un de ses parents devra avoir résidé sur l’île depuis au moins un an sans discontinuation, contre trois mois aujourd’hui, selon la volonté de Gérald Darmanin.

Selon moi, l’opération “Wuambushu” est assez inquiétante. La politique d’expulsion, ce n’est pas ce qui marche. Les personnes expulsées vers les Comores vont revenir à Mayotte d’ici quelques mois, voire quelques semaines, le temps pour elles de se faire de l’argent. Pendant ce temps-là, les enfants, mineurs, sont laissés à eux-mêmes avec des voisins ou des cousins. Ces jeunes ne vont pas à l’école. Les rixes entre bandes rivales se multiplient. La violence s’exerce entre eux, mais aussi envers des populations considérées comme plus riches. C’est devenu le far west. La priorité ne doit pas résider dans les expulsions mais dans l’insertion de cette jeunesse laissée à elle-même. Tant qu’il n’y aura pas une réelle politique d’intégration, de formation et d’éducation de ces jeunes, le problème de l’immigration clandestine des Comores vers Mayotte sera pris à l’envers.

À voir Mayotte : l’île de la “sous-France” ?

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