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En France, un racisme anti-Asiatiques banalisé et rarement dénoncé

Une étude publiée mercredi révèle que les personnes d’origine asiatique font face à un racisme multiforme, “banalisé” et rarement dénoncé en France. Érigées en “minorités modèles”, les populations asiatiques font montre d’un faible taux de recours face aux discriminations dont elles sont victimes, ce qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs, parmi lesquels l’insécurité linguistique mais aussi le passé colonial.

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Minimisé, banalisé, souvent inaperçu car automatiquement justifié par “l’humour”. Le racisme subi par les personnes originaires d’Asie, en France, est pourtant bien réel, a révélé mercredi 15 mars l’étude REACTAsie publiée par des sociologues et soutenue par la Défenseure des droits, Claire Hédon.

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Rarement dénoncée, la discrimination à l’encontre des Asiatiques n’avait jusqu’ici jamais fait l’objet d’un rapport officiel financé par cette autorité constitutionnelle indépendante. Mais la pandémie de Covid-19 a contribué à une accélération de la “prise de conscience” de ces discriminations, poussant la recherche scientifique à se mobiliser pour les documenter.

“Depuis le Covid-19, on a témoigné d’un phénomène mondial de surgissement de toutes ces hostilités envers cette population asiatique, d’ailleurs souvent confondue avec la population chinoise”, confirme Ya-Han Chuang, docteure en sociologie et chercheuse au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po Paris, qui précise qu’une première prise de conscience avait eu lieu en 2016 après la mort de Chaolin Zhang, couturier chinois de 49 ans, décédé des suites d’une violente agression à Aubervilliers.

En France, tel que le relate le rapport REACTAsie, les discriminations, qui se manifestent le plus fréquemment sous couvert d'”humour”, sont largement banalisées. Des plaisanteries douteuses qui interviennent surtout “au sein des relations sociales de proximité”. Collègues, amis, camarades de classe… “Ces liens de proximité (…) souvent situés aux frontières de la vie publique et de la vie privée rendent la dénonciation de ces phénomènes d’autant plus difficile”, démontre l’étude, qui précise qu’elles sont alors rarement punies.

Pour réaliser cette enquête, des entretiens biographiques approfondis ont été menés, entre 2020 et 2022, auprès de 32 jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, âgés de 20 à 40 ans et originaires de neuf pays (primo-arrivants ou descendants de migrants) : Chine continentale, Japon, Corée, Vietnam, Laos, Cambodge, Philippines, Hong Kong, Taïwan.

Des données recensées par les chercheurs découlent plusieurs constats. Tout d’abord, il existe des “spécificités propres” aux expériences de racisme anti-asiatique, parmi lesquelles la “banalisation” et “le caractère ordinaire” de leurs manifestations – souvent exprimées “sous la forme de l’humour”, résume Simeng Wang, sociologue qui a coécrit l’étude, chargée de recherche au CNRS et membre du Cermes3, les deux entités à l’origine de l’enquête.

Au travail, ou dès l’école, certains des enquêtés témoignent avoir subi “du mépris social, avec des moqueries de leurs camarades” qui ont nourri un “sentiment de honte”, et ont pu contribuer à forger une attitude de “surcompensation et d’envie de réussir”.

Par ailleurs, précise-t-elle, le racisme ne se manifeste pas de la même façon selon le genre. Effectivement, “les hommes asiatiques subissent des stéréotypes liés à leur masculinité souvent dévalorisée”, tandis que les femmes, dont “la féminité est fantasmée”, doivent faire face à “l’imbrication du racisme et du sexisme”, aussi bien dans le monde du travail (harcèlement sexuel) que dans l’espace public.

Faible taux de recours d’une “minorité modèle”

Pourtant, bien souvent le racisme subi par les personnes d’origine asiatique est passé sous silence par les victimes de discriminations elles-mêmes. Un faible taux de réaction et de recours que l’étude REACTAsie explique par l’étiquette de “minorité modèle” qui enferme les personnes asiatiques dans des stéréotypes positifs (“travailleurs”, “discrets”, “forts en maths”) et les empêche de signaler les situations de racisme auxquelles elles peuvent être confrontées.

La faible maîtrise de la langue française, la “logique de survie” et l’héritage du confucianisme – qui cultive les relations non conflictuelles – chez les primo-arrivants peuvent aussi, selon Simeng Wang, expliquer que les populations asiatiques recourent moins au droit et à une hiérarchie autoritaire.

Sur le dernier aspect, Ya-Han Chuang, autrice de “Une minorité modèle ? Chinois de France et racisme anti-Asiatiques” (éd. La Découverte), se veut “moins essentialiste”, dit-elle. Au-delà des valeurs de confucianisme, elle préfère “parler de la vision de la population asiatique qui se situe entre le dominant et le dominé”, précise celle qui est également membre du projet PolAsie. Analysé par Djamel Sellah, doctorant à Sciences Po Bordeaux, ce projet vise à analyser la spécificité de la participation politique en France des Asiatiques et Français d’origine asiatique.

“Il y a la société française avec, d’un côté, la population majoritaire ; de l’autre, des populations issues d’anciennes colonies africaines, souvent stigmatisées ; et au milieu, on retrouve les Asiatiques, qualifiés de bons immigrés, d’immigrés modèles qui travaillent bien et sont silencieux, mais que l’on continue tout de même à regarder à travers le prisme du ‘péril jaune’ (risque supposé que les peuples d’Asie surpassent l’Occident et gouvernent le monde, NDLR).

D’autres facteurs sociaux permettent, selon la sociologue, d’expliquer cette relative inertie face à des discriminations qui, le plus souvent d’ailleurs, ne sont même pas perçues comme telles par les victimes : “Il maîtrisent moins bien le français et ont, pour certains (notamment les réfugiés indochinois), une telle gratitude en tant que réfugiés que cela empêche une prise de conscience du racisme quotidien subi.” Ainsi, poursuit Ya-Han Chuang, “ils reconnaissent un traitement défavorable, mais n’ont pas forcément les ressources intellectuelles pour que cela se traduise comme une manifestation de racisme dans leur conscience. Et encore moins pour que cela se transforme en une action collective.”

Pourtant, les enquêtés de l’étude REACTAsie ont, à 80 %, un niveau bac+5, et les deux tiers sont nés sur le sol français. Un choix que Simeng Wang justifie par la volonté de dégager les particularités du racisme subi par les personnes d’origine asiatique occupant une position sociale élevée. La question à laquelle l’équipe de chercheurs souhaitait répondre était alors la suivante, explique la sociologue : “Est-ce que la facilité de s’exprimer augmente la chance de pouvoir rapporter des vécus de l’injustice sociale ?” En réalité, poursuit-elle, “nous avons remarqué qu’ils ne sont pas forcément épargnés par ce phénomène, mais qu’il prend des formes différentes.”

Pas épargnés, car il existe aussi une insécurité linguistique subie par des primo-arrivants, bien que diplômés. Les personnes venues en France pour suivre des études supérieures ont beau être diplômées et être entrées sur le marché du travail français, elles ne maîtrisent pas pour autant la langue française, ni les démarches administratives pour aller porter plainte, poursuit Simeng Wang, évoquant des entraves linguistiques et administratives qui empêchent de recourir au droit.

Un phénomène à conjuguer également avec une diversité des postures à l’intérieur même des populations d’origine asiatique, révèle l’étude REACTAsie.


Passé colonial et rapports de force ethno-raciaux

“Cela renvoie au passé colonial”, explique la chercheuse, autrice d'”Illusions et souffrances. Les migrants chinois à Paris” (éd. Rue d’Ulm).

En effet, développe-t-elle, les personnes d’origines vietnamienne, cambodgienne ou laotienne (ex-Indochine française) ont souvent pour parents des “boat people” (réfugiés ayant fui par la mer le régime communiste vietnamien entre 1978 et 1981) ou des individus ayant été accueillis en France après les guerres avec les Khmers rouges. “Ils ont grandi dans un environnement familial traversé par ce passé colonial”, explique Simeng Wang, les opposant, par exemple, aux personnes d’origine japonaise, qui n’ont jamais été colonisées par la France ou par un autre pays asiatique.

“Il y a une prédisposition différente à ces questions en lien avec la colonisation et la notion des rapports de forces ethno-raciaux, même au sein de l’Asie elle-même”, poursuit la sociologue, évoquant entre autres la colonisation de Taïwan par le Japon ou encore la guerre sino-vietnamienne. “Ces événements ont participé à donner aux différents enquêtés un héritage sur la question de la conscientisation du racisme anti-asiatique.”

Concrètement, cela s’exprime par une tendance de mise à distance du racisme de la part des individus d’origine japonaise, qui se sentent bien moins concernés que des personnes d’origine asiatique issues des anciennes colonies de la France.

Quoi qu’il en soit, sur ce sujet aussi, la parole – bien que timide – se libère. La pandémie de Covid-19, qui a été “un moment d’expression paroxystique” de ce racisme, a joué un rôle de “catalyseur dans la prise de conscience”, individuelle ou collective, des discriminations, chez les jeunes enquêtés, répète Simeng Wang.

Les réseaux sociaux ont un temps permis l’émergence d’un débat sur la question, rappelle de son côté Ya-Han Chuang, évoquant le hashtag #JeNeSuisPasUnVirus, utilisé sur Twitter au début de la pandémie de Covid-19 pour dénoncer des faits de discrimination… et une épidémie d’amalgames racistes.

S’en est suivie une médiatisation accrue de ces phénomènes, et la prise en considération d’un problème auquel les pouvoirs publics s’intéressent davantage.

Ainsi, la collaboration avec la Défenseure des droits va continuer, précise Simeng Wang, qui ajoute qu’une minisérie vidéo sera bientôt largement diffusée. “Pour le volet ‘action’, il s’agira notamment de collaborer avec des acteurs associatifs pour promouvoir la minisérie, et organiser des projections-débats, notamment en milieu scolaire, pour sensibiliser la population, et notamment la population majoritaire.”

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