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En Thaïlande, une grève de la faim contre le crime de lèse-majesté

Deux jeunes Thaïlandaises sont en grève de la faim depuis plus de cinquante jours pour réclamer une réforme de la loi de lèse-majesté et la libération de militants prodémocratie. De quoi embarrasser le gouvernement du Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha, à quelques semaines d’élections législatives.

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Plus de cinquante jours ont passé et Tantawan Tuatulanon et Orawan Phuphong sont toujours en vie. Depuis le 18 janvier, ces deux jeunes activistes thaïlandaises de 21 et 23 ans, désignées la plupart du temps par leur surnom “Tawan” et “Bam”, sont en grève de la faim et vivent entre la prison, l’hôpital et le tribunal.

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Mardi 7 mars, alors que leur état de santé suscitait de vives inquiétudes, elles ont été hospitalisées à Bangkok et ont accepté de recevoir de l’eau et des sels minéraux. Mais quelques heures plus tard, elles faisaient savoir que, malgré cette pause, elles refusaient toujours d’abandonner leur combat. “Je leur ai parlé. Elles vont mieux mais elles sont toujours très fatiguées”, s’inquiétait leur avocate, Kunthika Nutcharut.

“Tawan” et “Bam” ont trois revendications : elles réclament, d’abord, une réforme de la loi de lèse-majesté, considérée comme l’une des plus strictes au monde, et sous le coup de laquelle elles sont poursuivies. Elles appellent aussi à une réforme du système judiciaire thaïlandais et demandent la libération sous caution de militants prodémocratie. Arrêtés dans la foulée des grandes manifestations qui ont secoué le pays en 2020, ces derniers sont toujours emprisonnés dans l’attente d’un procès.

Plus de 200 personnes poursuivies pour lèse-majesté

En octobre 2020, des milliers de Thaïlandais étaient descendus dans les rues de Bangkok pour réclamer la démission du Premier ministre Prayut Chan-O-Cha, au pouvoir depuis un coup d’État en 2014. Dans les cortèges, les manifestants réclamaient cependant, aussi, une réforme de la monarchie – un fait inédit dans ce pays où le roi jouit d’un statut de quasi-divinité.

En réaction, plus de 200 personnes, dont plusieurs mineurs, ont été condamnés ou sont actuellement visés par une procédure pour lèse-majesté. Un crime qui, en vertu de l’article 112 du Code pénal, est passible de trois mois à quinze ans de prison. Les peines peuvent par ailleurs se cumuler. Fin janvier, Mongkhon Thirakot, un Thaïlandais de 29 ans, a été condamné à 28 ans de prison pour quatorze faits de diffamation de la monarchie, principalement en raison de messages postés sur les réseaux sociaux.

En parallèle, près de 1 600 personnes sont, depuis 2020, sous le coup de condamnations ou de procédures pour d’autres délits “politiques”, comme la sédition, selon l’ONG de défense des droits humains Thai Lawyers for Human Rights.

“Beaucoup déplorent que ‘Tawan’ et ‘Bam’ fassent cette grève de la faim en sachant qu’elles ne gagneront pas. Mais c’est un moyen pour elles de montrer au public la laideur du système judiciaire, de la monarchie et de toutes les institutions clés”, explique Pavin Chachavalpongpun, exilé politique, professeur associé de politique et de relations internationales à l’université de Kyoto.

Arrêtées pour un sondage dans un supermarché

Les deux femmes, respectivement étudiante et caissière dans un supermarché, sont, quant à elles, sous le coup d’accusations de lèse-majesté pour avoir organisé un “sondage” dans un grand centre commercial du centre de Bangkok où elles demandaient aux gens s’ils étaient gênés par le passage de cortèges royaux dans les rues.

Arrêtées début 2022, elles avaient été libérées sous caution en mars, avec la promesse de ne plus participer à quelconque action qui remettrait en cause la monarchie. C’est donc libres et en attente de leur procès que, le 16 janvier 2023, elles se sont présentées devant un tribunal de Bangkok pour réclamer que leur liberté conditionnelle soit révoquée – ce qui signifiait retourner en prison.

Deux jours après leur retour derrière les barreaux, les deux activistes politiques démarraient leur grève de la faim. Leur objectif derrière ce geste : soutenir les militants prodémocratie toujours incarcérés et en attente de procès, et alerter l’opinion publique sur les conditions de détention. “C’est la première fois, en Thaïlande, que des gens font une grève de la faim pour soutenir d’autres personnes”, souligne Kunthika Nutcharut, leur avocate.

“Les trois premiers jours, elles ont fait un jeûne sec [elles refusaient de boire et de manger, NDLR]”, poursuit-elle. “C’était tellement extrême qu’elles ont rapidement été très malades, à un point auquel les médecins sont rarement confrontés.”

Après plusieurs semaines d’allers-retours entre hôpital et cellule de prison, leur état s’est fortement détérioré le 3 mars, les médecins affirmant même craindre pour leur vie. “‘Tawan’ était si faible qu’elle ne réagissait plus”, témoigne l’avocate. “Elles ont finalement accepté d’être hospitalisées en se disant que, tant qu’elles sont en vie, d’autres activistes pourraient voir les charges retenues contre eux levées.”

Parmi la dizaine d’activistes qui étaient toujours détenus en attente d’un procès lorsque “Tawan” et “Bam” ont commencé leur grève de la faim, sept ont été libérés. “Et certains affirment que c’est grâce à leur action”, salue Pavin Chachavalpongpun. Selon l’avocate des deux jeunes femmes, d’autres activistes, en liberté conditionnelle, ont pu être débarrassés de différentes mesures de surveillance comme les bracelets électroniques.

Embarras du gouvernement à deux mois des élections

Ce n’est cependant pas la première fois que des activistes entament une grève de la faim pour alerter sur leur situation. Parit Chiwarak, dit “Pingouin”, a obtenu en 2022 sa libération sous caution après 57 jours sans s’alimenter.

Mais cette fois, le cas de “Tawan” et “Bam” a suscité une vague d’émoi inédit dans le pays, attirant l’attention de nombreux médias nationaux et internationaux. Une lettre ouverte appelant le gouvernement à lever les charges contre les deux jeunes femmes, à l’initiative d’Amnesty International, a ainsi recueilli des milliers de signatures.

De quoi embarrasser le Premier ministre Prayut Chan-O-Cha à quelques semaines seulement des prochaines législatives, prévues en mai, pour lesquelles il est candidat à sa réélection. Début février, ce dernier a ainsi appelé la justice à “accorder la plus grande attention aux deux grévistes”, tout en exhortant les parents à “surveiller le comportement de leurs enfants” et “à leur inculquer les connaissances nécessaires pour qu’ils ne croient pas aux manipulations politiques”.

“Pour le moment, le gouvernement thaïlandais a fait preuve de peu de bonne volonté pour améliorer la situation de ‘Tawan’ et ‘Bam'”, dénonce Chanatip Tatiyakaroonwong, chercheur au bureau régional d’Amnesty International en Thaïlande. “De toute façon, de manière générale, il n’accorde pas aux jeunes qui participent aux manifestations l’importance qu’ils méritent.”

À l’inverse, les deux principaux partis d’opposition, le Parti Pheu Thai de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, et le Move Forward Party, mouvement progressiste qui attire une jeunesse urbaine et éduquée, ont appelé à “sauver la vie des deux militantes” et à libérer les manifestants prodémocratie. Le Move Forward Party est même allé plus loin en réitérant son souhait de réformer de la loi de lèse-majesté : le parti avait déjà provoqué un tollé en annonçant, en 2020, son souhait de limiter les peines encourues à un an de prison et à une amende en cas de critique du roi.

De quoi susciter l’espoir des militants prodémocratie à l’approche du scrutin, alors que la mobilisation peine à survivre. “L’élection est perçue comme une lumière au bout du tunnel”, explique Pavin Chachavalpongpun. “Pour les militants prodémocratie, il faut encore tenir quelques mois, jusqu’au vote. Ensuite, si les résultats ne sont pas satisfaisants, il sera temps de réfléchir à retourner manifester.”

Cet article a été adapté de l’anglais par Cyrielle Cabot. L’original est à retrouver ici.

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