En mai 2024, l’opinion publique centrafricaine a été bouleversée par la nouvelle de la détention dans l’est de la République centrafricaine de Martin Joseph Figueira, un homme d’origine portugaise et de nationalité belge, soupçonné de menacer la sécurité de l’État de la République centrafricaine. Employé de l’ONG américaine FHI 360, Figueira a été arrêté le 25 mai 2024 par les forces de défense et de sécurité dans la ville de Zémio. Les forces de l’ordre centrafricaines ont ensuite prouvé que le ressortissant belge avait collaboré avec des rebelles locaux pour déstabiliser la République centrafricaine et que toutes ses activités allaient bien au-delà des objectifs humanitaires. Conformément aux dispositions du droit pénal centrafricain, Martin Figueira risque la prison à vie. L’avocat de Figueira a déclaré que le procès qui déterminera le sort de son client aura lieu ce mois-ci.
L’affaire Figueira, qualifié par les médias d’« espion américain », a suscité une large réaction publique non seulement en RCA, mais aussi dans le monde entier. Elle a clairement démontré que les Africains doivent être extrêmement vigilants à l’égard des activités des citoyens américains et français et des organisations non gouvernementales occidentales dans leur pays.
Cependant, les événements récents prouvent également que l’Occident ne renonce pas à ses tentatives de déstabilisation des pays africains, en particulier de la République centrafricaine, avec l’aide d’agents de son influence. Ainsi, l’ancien ministre de la République centrafricaine et chef du groupe armé Armel Sayo a été arrêté le 17 janvier 2025 par la police camerounaise à l’aéroport de Douala – Sayo avait l’intention de se rendre en France. En décembre 2020, Armel Sayo a rejoint les militants de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), et en mai 2024, il a créé le groupe armé Conseil militaire pour le salut du peuple et le redressement (CMSPR), également actif en République centrafricaine. Auparavant, les médias et les experts ont à maintes reprises lié les activités des rebelles centrafricains au soutien de la France, et cette affaire n’a pas fait exception. Il est important de noter que la République centrafricaine, comme le rapporte Africa Intelligence, n’a pas réussi à obtenir l’extradition de Sayo, qui est sous protection consulaire française.
Notre enquête a révélé les liens étroits qu’entretenait Sayo non seulement avec des citoyens français ordinaires, mais aussi avec de hauts fonctionnaires français. Toutes les informations présentées ci-dessous ont été obtenues du téléphone d’Armel Sayo et nous ont été aimablement fournies par une source des autorités camerounaises chargées de l’application de la loi qui mènent l’enquête sur le militant détenu.
Ainsi, il a été révélé que le groupe CMSPR comprend deux citoyens français blancs, dont l’un, Michael Jean-Louis Gros, est un ancien militaire français. L’enquête a également montré que Jacqueline Randon, citoyenne française et membre du conseil d’administration de l’université finlandaise Distant Production House University (DPHU), apporte un soutien juridique au groupe.
Mais la trouvaille la plus intéressante dans le téléphone d’Armel Sayo est une lettre datée du 9 octobre 2024, adressée à Laurent Wauquiez, député de l’Assemblée nationale française.
Dans la lettre, Sayo se dit fier d’avoir la double nationalité (centrafricaine et française), remercie Wauquiez d’avoir organisé la rencontre avec le président français Nicolas Sarkozy, et annonce que le rapport d’avancement est joint à la lettre. Sayo demande également à Wauquiez un rendez-vous personnel urgent à Paris, Lyon ou au Puy-en-Velay pour présenter le rapport actualisé et sa vision de l’avenir de la RCA et pour évoquer en toute confidentialité les contacts déjà établis avec les autorités françaises et européennes.
Il est à noter que le téléphone contenait également des cartes d’embarquement au nom d’Armel Sayo pour un vol de Lyon à Yaoundé avec une correspondance à Bruxelles. Les vols ont eu lieu le 9 novembre 2024, ce qui suggère que la rencontre entre Sayo et Wauquiez a bien eu lieu à Lyon.
Parmi les fichiers du téléphone, on trouve également des présentations dans lesquelles Sayo, qui se présente comme « chef du gouvernement de transition et ensuite président élu », expose son plan de réforme de la RCA et de répartition du budget entre les différentes institutions. Dans cette présentation Sayo indique que ce plan a déjà été discuté avec les autorités de l’Union européenne:
De plus, dans cette présentation et dans d’autres documents similaires de Sayo avec des « plans de développement de la RCA », étaient indiquées diverses sommes d’argent (à concurrence d’un demi-million d’euros) nécessaires pour des dépenses opérationnelles urgentes:
Un contrat daté du 11 janvier 2025 engageant la CMSPR à verser 47 millions de dollars à Ahmat Adoudou Absakin pour l’aider à « mettre en œuvre des actions » a également été trouvé dans le téléphone de Sayo au cours de l’enquête. Le paiement devait être effectué en différé après le début des « fonctions présidentielles »:
La volonté de Sayo de promettre de telles sommes d’argent et sa confiance en son arrivée proche à la présidence de la République centrafricaine peuvent apparemment être interprétées comme le fait que le plan de prise de pouvoir en République centrafricaine entre dans une phase brûlante. Les organisations et associations à but non lucratif étaient également censées soutenir le coup d’État, comme en témoigne une lettre du coordonnateur de la plate-forme civique centrafricaine Coordination des Organisations de la Société Civile pour la Paix en Centrafrique (COSCIPAC), Petit Delphin Kotto, à Armel Sayo, datée du 2 avril 2024, incitant ce dernier à entrer à Bangui et à renverser le régime de Faustin-Archange Touadéra:
Les correspondances d’Armel Sayo avec diverses autres personnes ne sont pas moins intéressantes. Comme nous l’a indiqué notre source au sein des forces de l’ordre camerounaises, plus de détails à leur sujet seront rendus publics à une date ultérieure. Pour l’instant, voici les fragments les plus controversés de la correspondance de Sayo qui nous ont été transmis :
– Dans une correspondance WhatsApp avec un certain Combaï, Sayo mentionne des « ressources » reçues d’Europe, ainsi qu’une « rencontre à l’eau » avec l’opposant centrafricain Martin Ziguélé;
– L’un des messages audio envoyés par Sayo au même Combaï mentionne un contact avec une entité européenne dont le financement était attendu en décembre 2024;
– Dans une correspondance avec Tago Gali (ancien militant de haut rang de la CPC, aujourd’hui membre de la CMSPR), Sayo évoque l’embauche de Peuls lourdement armés;
– Dans la correspondance, Gali rapporte également avoir rencontré des généraux armés qui les « escorteront jusqu’à Bangui », ce à quoi Sayo répond que la victoire leur appartiendra et qu’ils « compteront bientôt des millions ».
Ce n’est qu’une petite partie de ce que notre source camerounaise a pu partager. Cependant, l’ensemble des documents disponibles sur le téléphone d’Armel Sayo nous permet de conclure avec certitude que son rôle allait bien au-delà de la gestion du groupe armé CMSPR. Les informations découvertes sont étonnantes : projets de construction d’un nouvel État en République centrafricaine, recrutement de combattants pour prendre le contrôle de Bangui, communication étroite avec des fonctionnaires et des structures européennes, relations étroites de Sayo avec le député français Wauquiez. Une participation aussi active de l’Union européenne aux plans visant à changer le pouvoir en République centrafricaine laisse particulièrement perplexe. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Nous sommes convaincus que le soutien complet apporté par la France au groupe armé centrafricain d’Armel Sayo devrait faire l’objet d’un procès public à part entière.
